1- La fin de l’ère coloniale (1940-1960)
La politique sociale de l’éducation : La scolarisation coloniale
L’origine de l’école au Cameroun est relativement lointaine. Plusieurs auteurs s’accordent à dire que c’est avec l’arrivée des missionnaires de la baptist Missionary de Londres, installés sur le littoral camerounais depuis 1841, que la scolarisation démarre (S. Djmpou, 2012). Dans les faits, la première école ouvre ses portes en 1884 à Bimbia à l’instigation de Joseph Merrick (P. Njialé, 2019). Progressivement, le balaie des autres congrégations notamment les missionnaires bâlois de confession protestante, les Pères pallotins de la société Appotolus catholici et les presbytériens américains, va renforcer la scène scolaire de même que le terrain de la conversion des populations locales. Au moment où intervient la tutelle (1945), il existait déjà une tradition scolaire vieille d’environ un siècle au Cameroun. S’agissant de la répartition territoriale des établissements d’enseignement primaire et secondaire, il y avait une grande disparité entre le nord et le sud Cameroun (Le Vine et al, 1984). La plupart des établissements scolaires est à cette époque concentrée dans le sud du territoire ou la religion chrétienne est bien implantée. Ce sont en effet des établissements scolaires crées par des missions chrétiennes à des fins de formation et d’évangélisation. Il est compréhensible aisément que le nord Cameroun, regroupant majoritairement des populations islamisées n’ait recueilli que très peu d’établissement scolaires à cette période. Mais, cette scolarisation a pour vocation, par le contenu des enseignements à former des agents subalternes de l’administration coloniale (interprètes, maitres d’école, dactylographes, secrétaires, agents des postes, maçons, mécaniciens, techniciens en tout genre, etc.), des employés de maison de commerces, des ouvriers des travaux publics, des agents de forces de l’ordre etc. Et ce sont pour la plupart des enfants d’une élite sociale (chefs traditionnels et agents de l’administration) qui en bénéficient.
Au lendemain de la seconde guerre mondiale, les camerounais, confinés jusque-là dans des formations qui les prédestinent à des fonctions subalternes dans l’administration coloniale, prennent rapidement conscience des opportunités que leur statut international offre en matière d’enseignement et de possibilité d’ascension sociale. Par ailleurs, le conseille de tutelle de l’ONU, en conformité des accords de tutelle, plaide pour le développement de l’éducation au Cameroun. Il apparait clairement dans les rapports du conseil de tutelle (le 3ème et 4ème) que les Nations Unies ont accordé une grande importance à la formation des populations des territoires sous tutelles. La création d’établissements secondaires et ensuite universitaires au Cameroun apparait comme une exigence que le conseil de tutelle formule aussi bien à l’endroit de la France qu’à celui de l’Angleterre. C’est ainsi qu’à début des années 1950, des établissements secondaires (collèges, lycées) voient le jour au Cameroun. Dans le Cameroun oriental, l’administration française inaugure le Lycée Général Leclerc en 1952 (A. Bouopda, 2016). On assiste par la suite à une multiplication des établissements d’enseignement primaire et secondaire, et l’effectif des camerounais scolarisés croit considérablement au fil des ans, comme le montre le tableau suivant.
Tableau 1: effectif des scolarisés au Cameroun en 1957, 1958 et 1960
années | Primaire | Secondaire | Technique et professionnel |
1957 | 269600 | 6112 | 3178 |
1958 | 293997 | 6645 | 3344 |
1960 | 371400 | 13808 | 4359 |
Source: ASBC, 2014
Cette croissance fulgurante des scolarisés qui ne fléchira pas au fil des années cachait une disparité liée au genre dont l’administration coloniale accordait une attention particulière. Car s’il est vrai qu’ « en instruisant un homme, on instruit une personne, mais en instruisant une femme, on instruit au sein de la cellule humaine qu’est la famille une personne et une génération appelée à naitre et à évoluer sous sa tutelle et son influence. L’analyse du système d’éducation pratiqué au Cameroun pendant l’époque coloniale nécessite pour être complète, l’examen de la place réservée à l’enseignement féminin.
Avant la seconde guerre mondiale, le pourcentage des jeunes filles dans les effectifs scolarisés en Afrique Noire plafonnait à environ 10% dans les petites classes, 5 à 7% dans les classes de fin d’étude primaire (P. Njialé 2019). Apres 1945, parallèlement à l’accroissement général (d’ailleurs assez relatif) des effectifs scolaires au Cameroun, ceux du genre féminin ont connu une progression certaine tout en restant faible, de loin par rapport à la composition de la population scolarisable. Le tableau suivant montre les pourcentages des élèves de sexe féminin entre 1951 et 1960.
Tableau 2 : pourcentages des élèves de sexe féminin entre 1951 et 1960
Années | Primaire | Secondaire | Technique et professionnel |
1951 | 14% | 12.7% | 7.3% |
1955 | 24.6% | 13.25% | 30% |
1956 | 20.6% | 13.6% | 25.8% |
1957 | 27.6% | 11.8% | 20.2% |
1960 | 24.4% | 13% | 20.4% |
Source: ASBC, 2014
Au regard de ce tableau, on constate la faible importance du genre féminin dans le cadre de la politique coloniale en matière éducative. L’un des arguments populaire qui justifie cet état de choses est la réticence des parents camerounais à laisser leurs filles aller à l’école. Mais on peut remarquer que ce phénomène, dans la mesure où il a persisté est sans doute lié à l’orientation assimilatrice de la scolarisation coloniale ; n’était-il pas une réaction instinctive de défense de la population locale qui soit dit en passant, ne semblait pas ignorer les influences pour l’avenir, d’une telle éducation chez les jeunes filles. Un fait qui milite en faveur de cet argument est la dégradation des mœurs de la société citadine mais aussi l’aptitude la jeune « évoluée » de se soustraire des taches typiquement pour femme : ce qui était perçu à cette époque comme une perversion aux yeux de la population locale. Au-delà de ce aspect culturel, il n’existait aucune politique cohérente relative au développement à la scolarisation féminine, ni le plan de recrutement des élèves ni en ce qui concerne l’organisation des enseignements.
Par ailleurs, l’implantation des lycées ouvre la voie à la formation de niveau supérieur aux camerounais. Après l’obtention de leur baccalauréat, de nombreux camerounais vont voir se proposer des bourses pour poursuivre des études anniversaires en France et en Grande Bretagne. À cette occasion, plusieurs camerounais reçoivent une formation de qualité dans des établissements prestigieux. Cependant, cette politique de bourses universitaire ne permet pas à l’époque de répondre au besoin important de cadres nationaux formés dans les domaines de la santé, l’éducation de l’agriculture etc. Les camerounais ont conscience qu’il faut implanter sur leurs territoire des établissements de niveau supérieur pour pouvoir réellement répondre quantitativement à leur besoin de formation. En outre, la formation à la métropole, à travers la politique d’allocation de bourses universitaire s’avère très couteux aussi bien pour la France que pour la grande Bretagne : ce qui pousse celles-ci à concevoir des projets d’implantation d’établissement universitaires au Cameroun. En dehors de cette raison budgétaire, ils répondaient à des préoccupations de fierté nationale visible en Afrique à cette époque.
Les projets d’implantation d’établissements universitaires au Cameroun comme partout ailleurs en Afrique étaient butés sur la pénurie ou l’absence des enseignants de niveau supérieur. Le recours aux coopérants en prévenance des métropoles a permis de résorber ce déficit d’enseignants. C’est aussi pour cette raison que les écoles normales ont été les premiers établissements supérieurs implantés au Cameroun. Dans un rapport du conseil de tutelle couvrant la période du 22 novembre 1950 au 30 juillet 1951, 6 écoles normales, totalisant un effectif de 284 élève instituteurs sont recensés au Cameroun sous administration de la grande Bretagne (A Bouopda 2016). Mais les établissements universitaires sont créés véritablement au Cameroun à la veille de l’indépendance comme le montre le tableau suivant.
Tableau 3 : Liste de premiers établissements supérieurs au Cameroun
Universités | Années |
University preparatory classes (law school) | 1958 |
ENAM | 1959 |
ENS | 13 juillet 1959 |
Université fédérale de Yaoundé | 26 juillet 1962 |
Source: Bouopda A, 2016
Malgré la mise en place des établissements universitaires, il n’était pas toujours aisé aux camerounais de se scolariser. La politique de l’enseignement supérieur au Cameroun sous l’administration française était centralisée. Car les bourses restent l’unique voie d’accès à l’enseignement supérieur. Depuis 1946, la France crée le Fond d’Investissement pour le Développement Economique et Social (FIDES). Ce font avait pour vocation de financer les institutions médicales, économiques et scientifiques en Afrique. Engelbert Atangana[1] souligne que ce fond avait octroyé une centaine bourses aux élèves camerounais pour des formations de longue durée en métropole. Ce système de bourse mise en place par la France au Cameroun est très bien vu par le conseil de tutelle des Nations Unies qui l’encourage et lui demande de l’intensifier. Pour les années 1954 et 1956, les autorités françaises octroient trois catégories de bourses aux camerounais : les bourses d’enseignement par correspondance destinées aux jeunes fonctionnaires du territoire qui ne quittent pas leurs foyers et emplois, les bourses d’études sur le territoire attribués aux élèves de secondaire général et professionnel pour des études de perfectionnement dans les établissements secondaires et supérieurs sur le territoire, et enfin, les bourses hors du territoire destinée à des diplômés du secondaire pour leur permettre de poursuivre leurs études supérieures en France. Pour l’année 1954, 2571 camerounais ont bénéficié de ces différentes bourses (A. Bouopda, 2016). Le déséquilibre de genre observé au niveau secondaire et primaire est encore plus accentué au niveau supérieur. La poignée des femmes qui a eu accès aux programmes aussi sélectifs était considérée comme émancipée et détachée des fonctions reproductives et domestiques dont l’organisation sociale leurs réservait. Toute chose qui n’était bien vue par la société à cette période. En plus, non seulement ces programmes de bourses donnant accès à l’enseignement supérieur étaient très restreints, les représentations sociales ne favorisaient pas l’accès des femmes à des tels programmes.
Par contre, l’enseignement supérieur dans le Cameroun sous administration britannique bénéficiait une politique décentralisée. En plus de la British Council, agence dédiée à l’éducation et aux relations internationales, qui octroyait les bourses d’étude aux camerounais, le Cameroon Developement Corporation (CDC), l’une des premières grandes entreprises de Cameroun crées par les autorités britanniques, instaure en parallèle son système propre de bourse universitaires pour la formation des jeunes. En 1952, 31 camerounais avaient obtenus des bourses du British Council dont 20 pour poursuivre leurs études en Angleterre, 11 pour le faire en Afrique occidentale dans les colonies britanniques, tandis que 33 faisaient des études supérieures grâce à la bourse de la CDC (A. Bouopda, 2016). Comme pour la France, le conseil de tutelle s’est employé à faire pression sur la grande Bretagne pour qu’elle augmente le nombre de bourse d’études attribué aux camerounais. Dans cette situation, l’Angleterre opte pour un échange universitaire africain. Le Nigeria est le pays qui a reçu beaucoup de boursiers du Cameroun britannique. Certains camerounais ont même bénéficiés du gouvernement fédéral du Nigeria. Ainsi, le Yaba College, l’University College d’Ibadan, l’University College du Ghana et le Nigerian College of Art, Science and Technology sont des établissements qui reçoivent les boursiers.
À l’aube de l’indépendance, les puissances tutélaires avaient déjà amorcés un vaste projet éducatif dont il faut encore s’interroger sur son bien-fondé. Certes l’entreprise éducative coloniale reste inconstablement une œuvre sociale louable mais elle n’est pas exempt de toute dérive au regard de organisation et de son contenu. Dans ses débuts, elle a servi à former les indigènes capables de collaborer et de travailler avec l’administration coloniale. Dans ce contexte, l’enseignement était à la fois un moyen de communication et un élément d’aliénation. Les français ont pratiqué dans l’enseignement une assimilation plus efficace car l’enseignement des langues africaines était proscrit de manière expresse. Ainsi, l’école s’est transformée en instrument privilégié du projet colonial. C’est un appareil idéologique qui a permis de transférer la culture occidentale, civilisatrice aux peuples dit indigènes. Pendant la décennie 1950, le vent de la décolonisation qui a soufflé partout en Afrique a entrainé une légère modification de la donne. Désormais, il faut former des cadres, des « évolués », des « civilisés » pour remplacer le colon qui envisage son départ. Au finish, on se rend compte que les actions éducatives coloniales étaient à dose contrôlée, destinée à service la cause et ne s’inscrivaient véritablement pas dans un projet de développement social.
2- Le début de l’ère post-indépendance (1960-1980)
La politique sociale de l’éducation : la scolarisation post- indépendance
Avec la fin de la tutelle, en 1959, le Cameroun français accède à l’indépendance en 1960. Un an plus tard, la réunification avec une partie de l’ancien Cameroun britannique fonde la république fédérale du Cameroun. Les premiers responsables du Cameroun sont très tôt conscients du fait que l’avenir se construit par l’éducation ; d’ailleurs, un département ministériel y est consacré. Contrairement à l’époque coloniale, l’Etat s’arroge le droit sur la scolarisation et devient le principal acteur, c’est lui qui assure l’organisation, les orientations politiques et le contrôle stratégique. Dans le souci de développer ce secteur, le Cameroun participe à la conférence internationale sur le développement de l’éducation en Afrique, organisée en 1965 à Addis-Abeba. Il s’agit pour les pays participants à cette conférence de recenser les difficultés en matière d’éducation en général, de fixer les objectifs prioritaires et de mobiliser les moyens pour les réaliser dans les meilleurs délais. De cette conférence, il ressort que le taux de scolarisation était encore très faible sur le continent. Certes, des efforts sont faits dans la scolarisation primaire et secondaire mais l’enseignement supérieur demeure le parent pauvre du secteur éducatif. Etant un nouvel Etat indépendant, souverain, la présence française et anglaise dans l’enseignement (secondaire et supérieur), sous la casquette de coopérants, devait certainement gêner les nouveaux responsables du Cameroun, ce d’autant plus que cela pouvait donner l’impression d’être sous la coupe coloniale. Malgré la nécessité, les enseignants et les étudiants africains d’une façon générale n’étaient pas nombreux. En plus le phénomène de « fuite » des étudiants à travers les canaux de bourses vers les métropoles était déjà pointé du doigt.
Par ailleurs, la réunification du Cameroun s’est opérée en gardant un système éducatif abritant deux sous-systèmes hérités de la colonisation. Ces deux sous-système cohabitent et gardent chacune ses spécificités. Il se pratique le bilinguisme français-anglais. Les langues locales sont absentes des programmes officiels. Les décennies 60, 70 et 80 sont les années de l’explosion scolaire. Les effectifs de l’enseignement primaire ont été multipliés par 2.5 entre 1960 et 1973 (A. Bouopda, 2016). Dans le même temps, les effectifs de l’enseignement secondaire (général, normal et technique) ont été multipliés par 6.5 et le nombre de bachelier multiplié par 10 (A. Bouopda, 2016). Cette extension à la fois qualitative et quantitative est à mettre en relation avec les orientations politiques et économiques de l’époque. Du système éducatif qui se développe jusqu’en 1985, où les réformes ne connaissent que de timides tentatives, il se dégage les caractéristiques fondamentales suivantes :
- l’école participe de la construction de l’État-nation et du parti unique ;
- l’anglais et le français sont adoptés comme langues officielles et d’égale valeur dans le champ éducatif ; ce choix, qui réaffirme l’option nationale du biculturalisme, se fonde sur des valeurs locales et républicaines ;
- l’idéal scolaire comporte : la promotion du bilinguisme ; la garantie, pour tous, de l’égalité des chances d’accès à l’éducation ; la préservation et le renforcement de l’unité nationale et la contribution au développement économique et social ;
- comme acquis de l’époque coloniale, les principes de la laïcité, du libre choix scolaire pour les parents et la liberté d’enseignement pour les missionnaires sont reconnus ; l’effort de scolarisation des missionnaires est soutenu par des subventions ;
- dans l’ordre des finalités, l’école s’inscrit dans une visée universelle, utilitariste et productive ; elle intègre les notions d’instruction, de connaissance, de savoir-faire et être ;
- dans l’ensemble, le mouvement de scolarisation s’est largement transformé en s’adaptant parfois aux réalités locales.
Toutefois, la forte croissance des effectifs a conduit très tôt à une crise scolaire (sociale). Cette crise génère plusieurs problèmes dont l’administration coloniale se plaignait déjà. Il s’agit du chômage des diplômés, du dédain des scolarisés pour le travail manuel etc. La formation scolaire mène quasiment à des emplois de type urbain investi par une idéologie de rupture avec le travail de la terre, les rapports coutumiers, la logique scolaire entrait en contradiction avec la structure socio-économique du pays. Entre 1965 et 1970, toute une littérature d’expert a fleurit sur la question de l’inadaptation de l’école. A la conférence de Kinshassa (1969) et de Nouakchott (1970), on y fait le procès d’une école centrée sur la promotion individuelle « incompatible avec les exigences du développement économique et social ». En plus, le marché de l’emploi n’arrivait plus à absorber les flux des diplômés issus du système scolaire. L’individualisation des rapports, produite par la scolarisation, détournait les forces vives du milieu rural pour les orienter en trop grand nombre vers la ville. La scolarisation rurale, très peu dense sur tout le territoire national et majoritairement limitée au cycle primaire, est aussi un facteur important de la migration des jeunes. Car les jeunes certifiés ou bachelier sont obligés de quitter le terroir rural pour poursuivre leur étude dans les centres urbains. Pendant ce temps, l’agriculture en milieu rural manque de bras.
Face à cette disparité d’offre en matière éducative, les autorités initient une reforme axée sur la formation des maitres et des programmes plus orientés vers le milieu rural. Cette ruralisation de l’enseignement avait été présentée dans le 3ème Plan quinquennal comme « le seul gage de la rétention des jeunes à la campagne et comme l’un des moyens de lutter efficacement contre l’exode rural ». En plus, dans les années 1970-1971, les autorités ont initié dans un esprit de rénovation de l’ancienne animation rurale des Zones d’Activités Communautaires et Culturelles (ZACC). Les ZACC sont qualifiées de structure d’éducation, d’animation et d’encadrement du monde rural et elles ont pour mission de :
- fixer les jeunes à leur terroir
- faire naitre et développer l’esprit de création, d’entreprise et de participation chez les jeunes et les adultes en vue d’en faire des producteurs dynamiques et efficace.
Les jeunes qui participent aux ZACC y reçoivent une triple formation : technique professionnel (par des techniciens-animateurs), intellectuelle (alphabétisation et orientation pratique par un instituteur à vocation rurale), civique, rurale et politique (par les responsable du parti national). Les ZACC reçoivent au départ une dotation foncière et financière, mais doivent se développer en autofinancement. Cependant, sur l’ensemble du pays, on ne comptait en 1975 que 17 ZACC de 50 jeunes chacune, alors que les effectifs de l’enseignement primaire commencent à dépasser le million d’élèves (P. Njialé, 2001).
3- L’ère de la crise et de l’ajustement (1980-2000)
La politique sociale de l’éducation : un système scolaire en crise
La crise que connait le système scolaire durant près de deux décennies est étroitement liée à la conjoncture économique sans précèdent historique que connait le Cameroun dès 1987. Après 1990, cette conjoncture devient sévère et multiforme. Elle est à la fois politique, culturelle, démocratique, économie voire éducative. Ce contexte conduit à un bouleversement tumultueux du paysage social. Pour s’adapter à la situation nouvelle, le Cameroun accède au Programme d’ajustement structurel (PAS) imposé par le Fonds Monétaire International (FMI) et la Banque mondiale. En matière de politiques publiques, on assiste alors à des interactions heurtées entre les idéaux locaux et les modèles transnationaux de gestion. Comme conséquence de cette conjoncture, une baisse drastique de l’enveloppe d’investissement dans le secteur de l’éducation : ce qui implique inéluctablement un déséquilibre entre la demande et l’offre d’éducation. En somme, l’ampleur de la crise, par ses effets sociaux, aura fini par fragiliser la crédibilité et la perception de l’image de l’école auprès des populations. L’école qui était devenu la voie royale pour accéder à l’emploi, n’arrive plus à jouer ce rôle. Et pour cause, l’Etat, le principal investisseur a arrêté ses ambitieux programmes d’investissement public, gelé les recrutements dans la fonction publique. Dans le secteur privé, la privatisation entraine de nombreux licenciements. En tant que capitale économique, la ville de Douala se taille la plus grosse part des déflatés. Le chômage gagne du terrain et atteint un taux de 24% (ECAM, 1996). L’école qui était le moyen d’ascension social, produit des diplômés astreints au chômage. Aux yeux de la société, l’école est dépréciée et s’assimile à un perd temps.
L’enveloppe budgétaire accordée à l’éducation nationale diminue tandis que la croissance démographique surtout en milieu urbain ne fléchi pas, créant ainsi une forte pression de la demande scolaire. Par le biais de l’exode rural, la masse des jeunes migre des zones rurales dotées jusqu’ici d’une très faible infrastructure éducative, vers des villes qui abritent des institutions secondaires et supérieures indiquées pour poursuivre leur cursus scolaire. A ce déficit d’infrastructure éducative s’ajoute un manque significatif du personnel enseignant. Ce contexte a été favorable à l’intégration des populations dans le financement de l’éducation. Les parents doivent supporter un poids important du financement de l’éducation de leurs progénitures. Il est par la suite enregistré un développement en nombre des «maîtres des parents»; ils représentent environ 25 % des personnes qui enseignent dans les écoles primaires publiques en 2002 (P. Njialé, 2009). Ceux-ci ne sont pas rémunérés par l’Etat, mais par les associations de parents d’élèves et par les élites locales. Ce phénomène commence à s’étendre dans les zones urbaines; il est particulièrement pénalisant pour les familles rurales, généralement plus défavorisées, qui doivent payer davantage pour l’éducation de leurs enfants, accentuant ainsi les inégalités et les facteurs dissuadant les parents de scolariser leurs enfants. Si on ajoute les enseignants payés de fait par les usagers dans les écoles primaires privées (23 % des effectifs du primaire sont dans le secteur privé qui est très faiblement subventionné), ce sont au total plus de 40 % des enfants du primaire qui ont un maître rémunéré par les parents. Une enquête de ménages (ECAM, 2001) montre que les dépenses privées des familles (même dans une acception plutôt restrictive) correspondent à 44 % des dépenses totales engagées pour la scolarisation primaire. Ce niveau élevé de dépenses privées, notamment dans le primaire, pose un problème d’équité; il a aussi une dimension importante pour la politique éducative nouvelle du pays car coexistent des enseignants fonctionnaires dont le niveau moyen de rémunération est assez élevé en termes relatifs (un peu plus de cinq fois le PIB par tête), un nombre important de vacataires (recrutés pour pallier l’absence de recrutement dans la fonction publique au cours des années 90) rémunérés à un taux beaucoup plus faible. Il ne fait pas de doute que cette situation s’est constituée comme une réponse transitoire aux contraintes macroéconomiques de l’Etat dans les quinze dernières années; il ne fait pas de doute non plus que cette situation n’est pas structurellement tenable et que des dispositions appropriées devront être prises pour inscrire le développement à moyen terme de l’éducation sur des bases régularisées pour ce qui est du personnel enseignant.
Face à l’inadaptation de l’école aux réalités socio-économiques, l’Etat entreprend une série de réformes visant à reconnaitre l’éducation comme une mission fondamentale de l’Etat (Constitution du 18 janvier 1996), et une priorité nationale (La loi n° 98/004 du 14 avril 1998). À côté de cette dynamique institutionnelle, on a assisté à une réforme universitaire qui a considérablement bouleversé le paysage universitaire camerounais. À la décennie 1990, les effectifs des étudiants connaissent une forte augmentation, conduisant l’université-mère du Cameroun à la « massification », sous l’effet d’une situation et sociale difficile. L’année 1993 marque un tournant important dans l’histoire du système universitaire avec notamment l’augmentation substantielle de l’offre de l’enseignement supérieur. Le décret 92/74 du 13 avril 1993 transforme cinq centres universitaires en universités à part entière. Les principales missions de ses universités consistent à répondre à la demande sociale de scolarisation mais celles-ci contribuent à l’aménagement du territoire et au développement. L’université devient un facteur important de visibilité et de rayonnement pour le territoire qui l’abrite (Assako Assako et al. 2015). D’ailleurs, sa présence dans une localité lui permet d’évoluer de manière significative dans la hiérarchie urbaine, ce qui la conduit à une sorte de métropolisation (Moreau, 2011). Cette déconcentration des études universitaires contribue à la réduction des inégalités territoriales et de promotion sociale des quartiers et espaces de relégation. L’implantation d’une institution universitaire dans une ville secondaire offre la possibilité de lutter contre les formes de ségrégation sociale et territoriale en offrant aux jeunes une voie de promotion sociale sur place.
4- Au-delà de l’ajustement (2000-2019)
La politique sociale de l’éducation : un système éducatif reformé
Au courant de la décennie 2010, le contexte macro-économique du Cameroun s’améliore légèrement avec l’atteinte des points d’achèvements de l’Initiative Pays pauvres Très Endetté (IPPTE) en 2009. Au cours des six derniers exercices budgétaires, les dépenses éducatives courantes ont représenté en moyenne 15,7 % des dépenses publiques courantes. Rapportées au PIB, ces dépenses représentent 2,7 % au début des années 2000. Au regard de la forte pression de la demande scolaire, la population d’âge scolaire du primaire (6-11 ans dans le sous-système francophone et 6-12 ans dans le sous-système anglophone) devrait elle aussi s’accroître fortement d’ici à 2015, passant de 2,5 millions à 3,4 millions (soit une augmentation de plus d’un tiers), les autorités prennes plusieurs mesures visant favoriser l’accès à l’école du plus grand nombre de jeune mais aussi l’école à la logique mondiale de l’économie et des savoirs. La politique éducative du Cameroun est revisitée et réorientée à cette occasion. Les traits de cette grande orientation sont les suivants :
- La mise en place d’un dispositif juridique spécifique pour l’accompagnement de l’enseignement privé. Il s’agit de la loi n° 2004/022 du 22 juillet 2004 fixant les règles relatives à l’organisation et au fonctionnement de l’enseignement privé au Cameroun.
- Le choix délibéré d’un système juridico-administratif privilégiant la maîtrise par l’État du développement institutionnel de l’éducation. En effet, le système prévoit : (a) la création et l’ouverture discrétionnaire par l’État d’établissements publics de formation sur l’ensemble du territoire national; (b) la collation des diplômes, à tous les niveaux, relevant de la compétence exclusive de l’État; (c) l’instauration du régime juridique de « l’autorisation préalable » par l’Administration de l’État pour l’exercice d’activités de formation par les promoteurs privés; (d) la mise en place d’une réglementation instituant à la fois la préparation des élèves et étudiants des institutions privées pour les diplômes nationaux et un mécanisme de reconnaissance et de délivrance d’équivalences académiques à des diplômes étrangers par rapport aux diplômes nationaux.
- L’institution de la promotion de l’égalité des chances pour tous les citoyens camerounais. En effet, les lois d’orientation de l’éducation (1998, 2001) prescrivent que : (a) l’État garantit l’accès aux établissements de formation aux personnes remplissant les conditions académiques requises et en fonction de la capacité de chaque institution; (b) les institutions d’enseignement supérieur développent des politiques d’assistance permettant aux étudiants de toutes les couches sociales d’accéder à l’enseignement supérieur.
- Le caractère obligatoire de l’enseignement primaire et la gratuité de l’école primaire publique, qui interpellent de ce fait les pouvoirs publics qui se doivent de mettre en place sur l’ensemble du territoire national les conditions d’application effective de cette prescription constitutionnelle.
Le Document de Stratégie Sectorielle de l’Éducation et de la Formation (DSSEF), révisé et endossé par les partenaires techniques et financiers en 2013, prévoit un programme d’intervention prioritaire décliné en quatre grands axes sur lesquels reposent toutes les réformes en cours dans le système éducatif camerounais. Il s’agit de : (i) élargir l’accès à l’éducation et la rétention dans le système tout en corrigeant les disparités; (ii) améliorer l’efficacité et la qualité du service éducatif; (iii) développer un partenariat efficace avec les différents membres du corps social; (iv) améliorer la gestion et la gouvernance du système éducatif. Dans cette perspective, le gouvernement camerounais a mis sur pied un comité de pilotage de la Stratégie Sectorielle de l’Éducation qui a conduit des réflexions sur la mise en place d’un enseignement fondamental, qui nécessite la définition d’un socle minimum de connaissances et de compétences du jeune camerounais au sortir de cet enseignement fondamental mais aussi la réforme de la formation initiale des enseignants.
Le phénomène de scolarisation est bien loin d’être homogène sur l’ensemble du territoire national. Pour un individu scolarisable, la scolarisation dépend, entre autres, de la localisation administrative (région, département, arrondissement), de caractéristiques de la zone de résidence (zone urbaine/zone rurale), du genre de la personne scolarisable (garçon/fille), et du revenu de sa famille (riche/pauvre). Des quatre facteurs considérés, le genre est le facteur qui fait le moins de différences avec 14 points d’écart dans le taux d’achèvement du primaire des filles et des garçons alors que l’écart est de 25 points entre les jeunes appartenant aux groupes des 40 % les plus pauvres et ceux appartenant aux 60 % les plus riches. Les facteurs de nature géographique sont davantage prégnants avec un différentiel de 40 points entre le milieu urbain et rural et de 60 points si on oppose les régions du Nord et de l’Extrême-Nord à celles du Centre, du Littoral ou du Sud. Les habitants de ces régions du nord du pays se caractérisent traditionnellement par une plus faible propension à envoyer leurs enfants (filles et garçons confondus) à l’école primaire, et on observe que dans ces régions les filles sont, en moyenne, moins scolarisées que les garçons (ce n’est pas tant l’accès à l’école primaire que la rétention qui est moindre pour les filles). Cependant, des analyses récentes montrent que ce comportement vis-à-vis de l’enseignement tend à évoluer, lentement, vers une généralisation de la scolarisation des garçons et des filles, les campagnes pour la scolarisation ayant peut-être joué un rôle dans ce changement d’attitude.
Il est par ailleurs intéressant de noter que les inégalités de scolarisation selon le genre sont globalement modérées dans le primaire et le premier cycle secondaire pour s’intensifier ensuite; les disparités selon la région, pour leur part, s’établissent dès l’accès au premier cycle secondaire pour rester plus ou moins stables ensuite comme si les jeunes des zones géographiques «défavorisées» qui avaient passé ce cap pouvaient ensuite continuer leurs études sans encombres particuliers. Enfin, si les disparités selon le revenu existent bien dans le primaire (25 points d’écart entre les deux groupes considérés plus haut dans l’achèvement du primaire), il faut noter qu’elles se creusent de façon considérable ensuite avec une représentation 10 fois moins fréquente des jeunes du groupe des 20 % les plus pauvres que celle des jeunes du groupe des 20 % les plus riches dans le premier cycle secondaire; les chances de ces deniers sont 40 fois plus grandes que celles des jeunes du groupe des 20 % les plus pauvres dans la scolarisation au second cycle secondaire ; dans le supérieur, il n’y a pratiquement aucun étudiant originaire du premier et du second quintile de revenu. Ces chiffres manifestent un degré très élevé d’inégalités économiques et sociales dans le système éducatif camerounais.
5- L’ère du COVID-19 (2019)
La politique sociale de l’éducation : le système éducation à l’épreuve d’une pandémie
L’environnement social, bien qu’en progression au Cameroun, reste à être amélioré pour soutenir son développement à cause du relatif faible niveau des indicateurs sociaux. Par ailleurs, la variabilité de la croissance de l’économie et des finances publiques de l’Etat a eu des conséquences négatives sur le financement du secteur de l’éducation et de la formation. Le secteur demeure sous financé compte tenu de la cible visée de 22,0% en 2020 concernant les ressources budgétaires de l’Etat, fixées par le DSSEF (2013-2020). La part du budget global accordée au secteur de l’éducation et de la formation est de 14,6% en 2018 contre 16,1% en 2013. Le financement de l’éducation pèse également sur les familles ; respectivement 9% et 10% des dépenses totales de l’éducation dans le primaire et le secondaire sont couvertes par les familles. A ce contexte peu favorable, s’ajoute les crises humanitaires et sécuritaires qui impactent négativement le système éducatif et aggravent le niveau de pauvreté des familles. En effet, la déperdition des effectifs d’élèves observée du préscolaire au secondaire ces dernières années est liée entre autres à l’insécurité dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest et les autres crises qui affectent le système éducatif.
Soutenant les efforts internationaux pour contrer la propagation rapide de la pandémie de la COVID-19, le Gouvernement du Cameroun a mis en place plusieurs mesures restrictives sur les regroupements et les déplacements de population incluant entre autres la fermeture de tous les établissements scolaires et universitaires. L’entrée en vigueur de cette importante décision gouvernementale le 18 Mars 2020 a affecté la scolarisation de 7,2 millions d’élèves et étudiants inscrits dans les établissements publics et privés implantés sur le territoire national dont environ 4,5 millions d’enfants du primaire avec 47% de filles (J. Onana, 2020). Cette mesure touche également 1,8 millions d’élèves de l’enseignement secondaire général et technique et 40,000 apprenants de la formation professionnelle. L’enseignement supérieur n’échappe pas à cette crise liée à la COVID-19 qui affecte le cursus universitaire de plus de 347,000 étudiants (J. Onana, 2020). Face à ces restrictions sans précédent historique, le gouvernement a adoptés plusieurs mesures palliatives, principalement le télé-enseignement. Au niveau supérieur, les cours sont dispensés en ligne tandis qu’au niveau du secondaire et primaire, la chaine nationale (CRTV) organise les séances de cours télévisés et radiophoniques à travers le programme « l’école à la télé ». Par ailleurs, l’impact relativement limité de la crise sur le supérieur risque à terme d’exacerber les inégalités dans la société camerounaise, dans la mesure où les enfants issus des couches relativement aisées qui sont majoritaires dans les niveaux terminaux du système sont préservés, alors que ceux des couches les plus vulnérables en pâtissent dans les premières années d’enseignement au niveau primaire ou secondaire. En outre, les opportunités d’apprentissage des enfants vulnérables vivant dans les régions du Nord-Ouest, du Sud-Ouest et de l’Extrême-Nord touchées par les conflits sont perturbées par la fermeture des structures d’éducation. L’interruption de l’enseignement en classe a de graves conséquences sur les capacités d’apprentissage des enfants et la qualité de l’éducation. Les enfants issus des familles les plus pauvres courent beaucoup plus de risques de ne pas retourner à l’école que ceux des ménages les plus nantis. Plus la fermeture des établissements scolaires dure, plus cela a un impact sur les enfants d’une manière générale, mais en particulier sur les plus vulnérables, et surtout les jeunes filles, qui verront leur chance de retour dans le système éducatif s’amenuiser considérablement.
L’impact de la COVID-19 s’accentue dans les zones déjà touchées par les crises sécuritaires des régions du Nord-Ouest, du Sud-Ouest, de l’Extrême-Nord, ainsi que de l’Est, de l’Adamaoua et du Nord. Dans ces régions, on dénombre près de 1,8 million d’enfants d’âge scolaire qui sont dans le besoin de soutien d’urgence pour accéder à l’éducation, dans un contexte marqué par les conflits armés, la violence, les inondations, le choléra et les épidémies de rougeole (C. Bios, 2020). Ces multiples crises ont considérablement affaibli le système éducatif confronté à des défis structurels et accru la vulnérabilité des filles, des jeunes femmes, des enfants déplacés et handicapés augmentant les risques de décrochage et exposant davantage les enfants aux risques de protection tels que le travail des enfants, le mariage précoce, les grossesses non désirées, le recrutement par les groupes armés etc. Au regard des nombreuses conséquences liées à la fermeture des établissements qui vont largement au-delà du spectre scolaire.
[1] Engelbert Atangana, Cent Ans d’Education au Cameroun, il énumère dans ce livre les noms de certains de ces boursiers camerounais : Francis Bebey, Abolo Gabriel, Mongo Soo, Essougou Benoit, Tchokokam Elie, Etoundi Patrice, Bekono Jean, Oyono Ferdinand, Ahmadou Hayatou, Abdoulaye Maikano, Mbarga Fabien, Yonke Jean-Baptiste, Vroumsia Tchinaye, Ntoné Félix, Ousmane Mey, Ebene Raphael, Akono Daniel, Nouafo Etienne, Emandi Jean, Mahele Albert, Pokossy Doumbé, Mpanjo, p. 160-163.